Sélection, génétique

Génétique : un exemple simple

Cette page s'adresse aux curieux qui veulent découvrir un peu la génétique au travers de ma propre démarche face à un caractère simple :

Le caractère Unicolor de la coquille de Helix aspersa (le Petit-Gris)



coquille à bandes coquille unicolor
coquille habituelle, à bandes sombres coquille unicolor, sans bandes

Ci-dessus les photos de deux coquilles de Petit-Gris, de taille normale, elles font toutes les deux environ 34 mm de long. Celle de gauche présente la coloration classique, avec des bandes brunes très apparentes bien que chagrinées, sur un fond ocre, alors que celle de droite n'a  pas de bandes, on dit qu'elle présente le caractère "unicolor". C'est celle du premier escargot unicolor de mon élevage, il m'avait été donné en 1993 par un enfant qui l'avait ramassé durant ses vacances en Dordogne. De tels Petit-Gris sont rares en France, un peu plus communs autour de la Méditerranée et au Portugal. Comme j'avais déjà une lignée de très gros spécimens à coquille classique à bandes, j'aurais bien aimé introduire ce caractère pour obtenir une souche ressemblant à l'escargot de Bourgogne tant par la taille que par la couleur de coquille. (voir la page "présentation du Blond des Flandres")

Mais ce caractère allait-il se transmettre et comment ?

Cet escargot a pondu deux fois en Septembre 1993 donnant en tout 181 petits. Trois semaines après l'éclosion on pouvait trier les jeunes : il y avait 43,6% d'unicolor contre 56,4% de non-unicolor. Il y avait de bonnes chances que cela soit "génétique", sans pouvoir en dire beaucoup plus ! Le Petit-Gris stocke les spermatozoïdes de ses différents "partenaires" et ses descendants, même dans une seule et même ponte, ont différents "pères" possibles s'il s'est accouplé avec différents escargots. Or, bien entendu, je ne savais pas ce qu'il en était de celui-là puisqu'il avait été récolté dans la nature. De toute façon il est rare de pouvoir tirer une conclusion définitive d'une simple et unique observation.

Pour résoudre le problème de la "paternité", il faut employer des escargots vierges, et former des couples maintenus isolés. Voici le résultat du croisement d'un descendant unicolor de l'escargot ci-dessus et d'un autre, à bandes, tous deux initialement vierges (j'insiste ! ) : 67 unicolor et 66 non-unicolor, soit 50,4 % contre 49,6 %, et aucun escargot à bandes  "estompées" qui auraient pu être considérés comme intermédiaires. Cette fois il devenait possible de formuler une hypothèse, suivant la génétique classique "mendélienne" , du nom de celui qui en a découvert les lois, Gregor Mendel (voir cet article sur Wikipedia )  : le caractère Unicolor semble conditionné par l'allèle dominant U d'un seul gène, le ou les autres allèles, récessifs, étant désignés collectivement par n, comme non-unicolor, dans la suite. Cette hypothèse, il allait falloir la vérifier, on pourrait avoir aussi l'inverse en matière de dominance.

Un peu de théorie et de vocabulaire

Au départ , il y a une cellule-œuf, issu de l'union de deux gamètes (c'est le nom des cellules reproductrices) : un spermatozoïde (mâle) et un ovule (femelle). Le spermatozoïde et l'ovule apportent, chacun, le même nombre de chromosomes, nombre qui est propre à chaque espèce, 27 pour Helix aspersa, donc la cellule-œuf de Petit-Gris, puis chaque cellule issue de sa division, contient 27 paires de chromosomes homologues. Ce sont les chromosomes qui portent les gènes.

Chaque gène est ainsi présent dans chaque cellule d'un individu en double exemplaire (en dehors des gamètes), porté par chacun des deux chromosomes d'une paire et il existe pour chaque gène différentes versions, ou variantes, que l'on appelle ses allèles. Donc deux cas peuvent se présenter pour un certain gène : les deux exemplaires correspondent au même allèle, l'individu est alors dit homozygote pour ce gène, ou bien les deux exemplaires correspondent à des allèles différents et l'individu est dit hétérozygote.

Certains caractères sont conditionnés, ou commandés, par un seul gène. C'était le cas des caractères étudiés par Mendel chez le Pois : grains lisses ou ridés, jaunes ou verts etc... Il existe aussi des caractères qui sont conditionnés par 2 gènes, ou 3 et ainsi de suite. Les caractères mesurables à variation continue comme la taille, ou la quantité de lait produite, ou le rendement à l'hectare, ..., sont dépendants de nombreux gènes d'une part mais aussi, bien entendu, des conditions de milieu d'autre part, les conditions d'élevage ou de culture, (la part de responsabilité qui revient aux gènes ou au milieu dans l'expression d'un tel caractère est variable, ce type d'étude est l'objet de la "génétique quantitative").  Déterminer dans quel cas on se trouve est l'objet de l'analyse génétique.

Revenons au cas simple d'un caractère commandé par un gène unique à 2 allèles A et a. C'est assez souvent le cas pour des couleurs (de fleurs, de pelage ...). On peut dire qu'il y a trois sortes d'individus les AA, les aa, et les Aa, on dit trois génotypes.

    * Si les Aa (les hétérozygotes) sont, pour ce caractère, identiques aux AA, alors on dit que l'allèle A est dominant et l'allèle a récessif car l'effet de a est masqué par celui de A . Dans ce cas, le caractère n'a que deux valeurs possibles, on dit deux phénotypes. Un premier phénotype correspond aux AA et aux Aa , et l'autre phénotype aux aa .
    * Si les Aa sont différents aussi bien des homozygotes AA que des aa, souvent intermédiaires, mais pas toujours, il y a absence de dominance, on dit aussi que les deux allèles sont codominants. Dans ce cas, le caractère a trois valeurs possibles, il y a trois phénotypes qui correspondent aux trois génotypes.

Un dernier point et la boucle sera bouclée : lorsque se forment les cellules sexuelles d'un individu, c'est-à-dire ses gamètes, spermatozoïdes et/ou ovules, les paires de chromosomes se défont, chaque paire indépendamment des autres.(Les Petit-Gris sont hermaphrodites et produisent aussi bien des spermatozoïdes que des ovules). Chaque gamète ne porte qu'un allèle de chaque gène. Ainsi tous les gamètes d'un individu homozygote aa porteront l'allèle a, mais la moitié de ceux d'un hétérozygote Aa porteront A, l'autre moitié a.

Retour au caractère unicolor

Suivant mon hypothèse, il y aurait trois génotypes de Petit-Gris : UU, Un, et nn, et l'allèle U serait dominant, donc les deux génotypes UU et Un donneraient le phénotype unicolor, alors que les nn présenteraient une coquille à bandes. Quels doivent être dans ces conditions les résultats des différents croisements possibles entre 2 escargots ?

La première ligne et la première colonne de chaque tableau comportent les types de gamètes produits par chacun des 2 escargots. Les autres cases donnent les différents génotypes de la descendance obtenue, chacune correspond à 25% de cette descendance (statistiquement).

* 2 escargots "à bandes" entre eux, tous les deux nn

 nn
n
nn
nn
n
nn
nn

résultat (nature visible de la descendance):
100% de la descendance est "à bandes"


* 1 "unicolor" avec 1 "à bandes", deux cas possibles pour l'unicolor, soit il est de type Un, soit il est de type UU

unicolor de type Un
 nn
U
Un
Un
n
nn
nn
unicolor de type UU
 nn
U
Un
Un
U
Un
Un
résultat : 50% unicolor, 50% à bandes
résultat : 100% unicolor

* 2 "unicolor" entre eux , trois cas possibles

 Un
U
UU
Un
n
Un
nn
 UU
U
UU
UU
n
Un
Un
 UU
U
UU
UU
U
UU
UU
résultat : 75% unicolor, 25% à bandes
résultat : 100% unicolor
résultat : 100% unicolor

Quelques remarques :

1. Sur les pourcentages indiqués. Imaginons une ponte de Petit-Gris donnant 100 petits escargots. Si on attend comme dans l'un des cas ci-dessus 50% - 50%, va-t-on réellement obtenir 50 unicolor et 50 non-unicolor. Pas forcément ! C'est comme si on jouait 100 fois à pile ou face, on peut obtenir 47 'pile' - 53 'face' sans que cela surprenne, mais si on obtient 31 'pile' - 69 'face' on se demande sérieusement si la pièce n'est pas truquée ! Le calcul des probabilités est ici d'un grand secours. Il est possible de répondre à une question du genre " Si je me donne 5% de risque de me tromper, à partir de quel écart à 50 - 50 pourrais-je affirmer que la pièce est truquée ? " [ réponse, pour 100 lancers de la pièce : à partir de 41 - 59 ].
Par contre si on attend un pourcentage de 100%, comme dans le croisement de deux escargots "à bandes", on doit avoir 100%, il n'est pas possible d'obtenir 99%, sauf cas vraiment très très rare de mutation.

2. Sur la dominance de l'allèle U. Si l'allèle U était récessif, un escargot "unicolor" serait obligatoirement de génotype UU, et le croisement de deux escargots "unicolor" donnerait toujours une descendance 100% "unicolor".

Comment savoir maintenant si l'hypothèse est exacte ?

En réalisant les différents types de croisements, après décompte des "unicolor" et des "non-unicolor" de la descendance, un calcul mathématiques comme celui évoqué ci-dessus pour la pièce truquée permettra de dire si l'hypothèse doit être rejetée, avec un risque prédéfini (de 5% par exemple) de se tromper dans ce rejet. Voici donc le résultat de mes observations, avec bien entendu la précaution de n'avoir retenu que les pontes d'escargots initialement vierges.

1. les croisements de 2 Petit-Gris "à bandes" : ils donnent toujours 100% de descendants "à bandes".
2. les croisements d'un "unicolor" et d'un "à bandes" : 49 pontes sont observées. 41 ont donné approximativement moitié-moitié, très exactement un cumul de 2249 descendants "unicolor" et 2246 "non-unicolor". Les pourcentages sont vraiment très proches de 50 - 50 : 50,03% contre 49,97%. Et huit pontes ont donné 100% d'unicolor.
3. les croisements de 2 "unicolor" : 37 pontes sont observées. 33 ont donné approximativement trois-quart / un-quart, très exactement un cumul de 2567 descendants "unicolor" et 886 "non-unicolor". On obtient donc 74,3% contre 25,7%, ce qui, là encore, n'est pas très loin du théorique 75 - 25. Et quatre pontes ont donné 100% d'unicolor.

Ces résultats correspondent très bien aux prévisions. Le calcul de probabilités confirme que l'on ne peut pas rejeter l'hypothèse.

En fait, j'ai eu dès 1994 connaissance des travaux de Chercheurs du Centre de Génétique et de Biologie Moléculaire de Lisbonne qui ont étudié le déterminisme génétique de la couleur de la coquille de Helix aspersa, travaux conduits par Mme Albuquerque de Matos qui avaient été publiés en 1988. Ils ont conclu que 18 gènes sont en cause pour rendre compte de tous les aspects de cette coquille. L'allèle que j'appelle U ci-dessus est , pour eux, M0, le premier d'une série de 5, avec M1, M2, M3, M4, qui provoquent une mélanisation, c'est à dire une coloration noire causée par la mélanine, de plus en plus forte des bandes, chacun étant dominant sur les suivants. Il existe effectivement des escargots dont la coquille présente des bandes plus ou moins marquées, ou plus ou moins estompées si on préfère, qui ne correspondent pas à des hétérozygotes Un. Mais je tenais à vérifier par moi-même, sous l'angle de la seule alternative "bandes" ou "absence de bandes", car cette espèce présente une telle variation qu'il était peut-être possible d'observer autre chose avec mes propres escargots, j'avais besoin de cette confirmation pour la mise au point du "Blond des Flandres", et parce que l'expérimentation dans le domaine de l'analyse génétique où on déduit le "caché" à partir de l' "apparent" a quelque chose de fascinant qui pique la curiosité intellectuelle. Et j'ai été ravi de voir que mes observations ne présentaient pas de contradictions avec leurs conclusions.

Peut-on fixer le caractère unicolor ?

Il sera difficile, sinon impossible, de fixer le caractère "unicolor" ! Un caractère est fixé dans une population si tous les individus et tous leurs descendants présentent ce caractère. Pour le cas qui nous intéresse, cela signifie que tous les escargots seraient UU. Or pour savoir si un Petit Gris est UU, de façon à ne retenir que ce type de reproducteurs, il faut l'avoir croisé avec un 'nn' ou un 'Un', et avoir obtenu 100% d'unicolor. Ceci est réalisable, bien entendu, pour toute une série d'escargots, mais tous les UU ainsi repérés ne seront plus vierges, et même croisés ensuite uniquement entre eux, il est possible que certains de leurs descendants aient pour pères l'un ou l'autre des nn ou Un utilisés pour le testage, compte tenu du stockage des spermatozoïdes. Les allèles n n'auront pas disparu de la "population" issue de ces reproducteurs repérés comme UU.

Il existe cependant une solution, qui m'a été soufflée par un internaute manifestement très éclairé. Au lieu de faire le testage avant d'utiliser les escargots repérés comme UU, il faudrait le faire après. Autrement dit, on forme des couples d'escargots unicolor vierges, sans savoir s'ils sont UU ou Un, et on isole leurs descendances. Dès qu'un couple a donné sa descendance, on "marie" les deux parents avec deux escargots à bandes nn, en attente, vierges, et on observe la descendance de ces derniers. Si cette descendance est unicolor à 100%, c'est que le partenaire est UU. On ne retient alors que les descendances des premiers couples où les deux parents ont été repérés comme UU. C'est efficace, mais très (trop) lourd à mettre en oeuvre. Cela triple le nombre de couples à gérer. Comme il n'est jamais certain qu'un escargot va pondre, même après s'être accouplé, il est probable que certains escargots unicolors ne soient jamais génotypés, faute d'observation de la 2ème descendance. Il est possible au final qu'on soit amené à ne retenir qu'un faible pourcentage des descendances des couples mis en reproduction.

De façon plus économique, on peut par sélection systématique des escargots Unicolor, génération après génération, faire diminuer la fréquence de n dans la population et obtenir progressivement un pourcentage de plus en plus proche de 100% de Petit-Gris "BLONDS" !

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